23ème dimanche ordinaire

            

 

En écrivant ainsi ce chapitre, saint Marc pense sans doute aux difficultés rencontrées par la jeune Eglise, dès les premières années de son existence, pour passer de l’exclusivité juif à une réelle ouverture au monde païen. Il a fallu du temps, il y a eu des étapes, avant que cela ne s’opère vraiment. Il a fallu d’abord s’affranchir d’un certain nombre de contraintes imposées par la religion juive, en matière de repas notamment, signes d’une mentalité particulièrement fermée, pour rencontrer les païens, eux aussi fermés par d’autres contraintes, et les aider à s’ouvrir à la bonne nouvelle.

A la guérison du sourd-muet. Nous voici donc en plein pays païen. Les gens adorent certainement des idoles, ces statues auxquelles ils vouent un culte. Ceux qui les adorent, dit la Bible, sont comme elles : sourds à la Parole, inaptes à la louange et à la prière. Pas de communication avec Dieu, donc pas de communication vraie avec les autres hommes. C’est le cas de ce sourd-muet qu’on amène à Jésus. C’est notre cas, à nous aussi, quand nous plaçons notre confiance ailleurs qu’en Dieu, et spécialement en nos propres œuvres, en nos propres réussites. 

Jésus ne dit pas à ce pauvre homme « entends », ni « parle ». Il lui dit : « ouvre-toi ! » Dire « ouvre-toi » à un sourd, c’est en principe ne rien lui dire, puisqu’il n’entend pas. Mais le Christ, Parole créatrice, va franchir un mur. Avec des gestes bizarres, et même choquants. Pourquoi les doigts dans les oreilles et de la salive sur la langue ? Sans doute pour nous faire comprendre que Dieu, en son Fils, vient physiquement au contact de notre mal. « Ouvre-toi », dit-il, comme pour mettre en évidence la fermeture, la prison dans laquelle l’homme est enfermé. Et par sa propre salive sur la langue de ce païen, Jésus ne met-il pas en lui sa propre Parole avec mission, pour lui, d’aller à son tour la transmettre au monde ? C’est ainsi que le Christ ouvre la route et rétablit la communication intégrale, de l’homme avec son Dieu, et de tout homme avec tous les hommes. 

Récit symbolique, bien sûr. Symbole de ce qui s’est passé aux temps de la génération de saint Marc. Symbole de ce qui se passe, de nos jours encore, grâce à la puissance du Christ ressuscité. Tout  effort missionnaire consiste essentiellement en un travail de communication pour permettre aux hommes d’entendre et de parler, de s’entendre et de se parler. Au temps de Marc, par exemple, jamais un bon juif n’aurait imaginé d’entrer en communication avec un païen. On reprochera à Pierre d’être allé chez un païen le centurion Corneille à Césarée. Il va falloir que les chrétiens se rappellent que Jésus le premier, non seulement s’est approché, mais est allé jusqu’à toucher le sourd-muet. On n’imagine pas, aujourd’hui, les difficultés que les premières générations de disciples du Christ ont éprouvées pour sortir de l’emprise du carcan juif qui les enfermait et les emprisonnait sous une masse d’idées reçues. 

En notre siècle de communication instantanée, grâce aux progrès inlassables des technologies nouvelles, on pourrait croire que tout sera plus facile. Hélas, ce n’est pas le progrès de la technique qui libère instantanément les hommes des prisons des idées reçues, des traditions qui rendent sourds. Ce n’est pas parce qu’il y a Internet que les hommes s’entendent mieux, n’est-ce pas. Et pourtant, on peut communiquer dans l’instant. Jamais comme aujourd’hui les hommes n’ont été informés aussi rapidement et universellement. Les moyens, pour une communication efficace, sont là, à la disposition de tous. Encore faut-il savoir s’en servir ! Saurons-nous faire preuve d’imagination et d’audace pour que les contemporains puissent s’ouvrir à la nouveauté de l’évangile ? C’est à cela que Jésus nous invite. « Passons sur l’autre rive », disait-il un jour à ses amis. Il les invitait ainsi à sortir de leur tour d’ivoire. Je rêve d’un christianisme ouvert et sans œillères. Je rêve d’un monde où chacun pourra, non seulement entendre, mais écouter l’autre, et particulièrement les « sans voix » de nos sociétés. Ils portent, comme le pauvre homme muet de notre évangile, la Parole même du Christ.